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Les bonnes

par Les Frères Jacques

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On n´en voit plus guère. Une espèce
Qui disparaît très rapidement
Même les Bretonnes, même les négresses,
Forcément, chère Madame Durand,
Ces filles, on les a toutes pourries
C´est elles maintenant qui font la loi
Pensez, la nôtre était nourrie
Et logée, plus l´argent du mois!
Aussi, il ne faut pas qu´on s´étonne
On a tout fait pour les gâter
On était trop bon pour les bonnes
Vraiment, c´est à vous dégoûter!
Moi qui suis faite pour être patronne
Et déployer d´ l´autorité,
Eh bien! Quand je sonne, il ne vient personne
Car y a plus d´ bonnes. Quelle société!

Pensez, chez moi, j´en ai eu seize
Je leur faisais un petit nid coquet,
Un lit, une table, une lampe, deux chaises
Ça donnait sur les cabinets,
Evidemment, ça manquait d´ vue
On n´y voyait jamais l´ soleil
Mais la nuit, c´est chose superflue
Surtout avec un bon sommeil
Et quand le réveil carillonne,
Au point du jour, joyeusement,
Sachant que le soleil rayonne
Devant, dans tout l´appartement,
On se lève et l´on se savonne
Avec plus d´zèle, évidemment
Le soleil luit, Le gaz ronronne
Mais y a plus d´ bonnes! Sombres moments!

Leur travail? Ah, laissez-moi rire!
Vider les pots, ranger les lits,
Faire la vaisselle, frotter et cuire,
Passer les cuivres au tripoli,
Trois fois par jour, servir à table,
Faire chaque matin une pièce à fond,
Les courses, un travail agréable,
Repasser le linge de maison,
Trois fois rien! Avec ça, gloutonnes!
Même qu´on s´ privait souvent, ma foi,
Pour qu´il reste du gigot bretonne
Ou la carcasse d´un poulet froid,
Avec tout ça, j´étais trop bonne,
Un jour de liberté par mois
Pour s´en aller faire les luronnes!
Ben, y a plus d´ bonnes, pourquoi, pourquoi?

On les menait en promenade
Le dimanche, on en prenait soin
Allant, si elles tombaient malades,
Jusqu´à quérir le médecin!
Mais quand, la moustache en bataille,
Nos maris les serraient d´ trop près,
Alors on surveillait leur taille
Ça n´ratait pas, quatre mois après,
On renvoyait la jeune personne,
En la tançant sévèrement!
C´était le devoir des patronnes,
Nos maris n´ pouvaient décemment
Etre les pères des enfants d´ nos bonnes
C´est tout d´ même un gros soulagement
De n´ plus voir ces ventres qui ballonnent.
Comme y a plus d´bonnes, y a plus d´enfants!

Ça devait finir dans la débauche,
Selon la loi du moindre effort.
Tout ça, c´est la faute à la gauche,
Aux Soviets, à Blum et consorts
J´en ai reçu une, cet automne,
Qui m´a dit d´un air insolent
"Bonne à tout faire? Moi, j´suis pas bonne!"
Elle est partie en m´insultant
La morale, je vous l´abandonne :
La base du régime bourgeois,
Son piédestal, c´était... la bonne!
Sans elle tout s´écroule à la fois
L´Office, le Salon, la Couronne
L´Ordre, l´Autorité, la Loi!
Y a plus d´ bon Dieu, y a plus personne!
Quand y a plus d´ bonnes, y a plus d´ bourgeois!
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